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mercredi, 10 avril 2019 18:37

Société Générale: le plan de restructuration présenté dans "une ambiance d’enterrement" - Challenges 10 avril 2019

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Société Générale: le plan de restructuration présenté dans "une ambiance d’enterrement"

Par Guillaume Allier et Thiébault Dromard le 10.04.2019 à 15h14 ABONNÉS

 

Le nouveau plan de restructuration de la Société Générale prévoit la suppression de 1.600 postes dans le monde, dont 752 en France. Il a été présenté cette semaine aux salariés dans "une ambiance d'enterrement". Une atmosphère délétère qui se répand dans toutes les équipes de la banque depuis maintenant plusieurs années.

 

La Société Générale ne fait plus rêver. Surnommée ironiquement la "Société Géniale" dans le milieu bancaire, l'image de l'entreprise a beaucoup souffert des "affaires" successives : Kerviel, manipulation des taux d'intérêt du Libor, violation d'embargo américain mais aussi par la multiplication des plans de restructuration. Le dernier en date, annoncé en février dernier et présenté cette semaine aux salariés dans "une ambiance d'enterrement", rapporte Philippe Fournil, responsable CGT de la banque, n'est autre que le 12e depuis l'arrivée de Frédéric Oudéa en 2008 (soit en moyenne plus d'un par an). "Avec ce nouveau plan, la banque risque de basculer, s'inquiète encore Philippe Fournil, c'est peut-être celui de trop". Cette nouvelle politique de départs volontaires prévoit en effet la suppression d'environ 1.600 postes dans le monde, dont 752 en France (essentiellement dans la banque de financement et d'investissement, ou BFI). De quoi nourrir encore le désamour des collaborateurs pour le Groupe SG et plomber un peu plus l'ambiance dans les équipes.

 

"La great loose"

Comme chaque année depuis trois ans, la Société Générale a réalisé son "baromètre employeur" en septembre dernier. Sauf que contrairement aux épisodes précédents, cette fois-ci la direction n'a pas souhaité le rendre public. Il faut dire que les chiffres sont particulièrement mauvais. D'après ce document classé confidentiel mais que Challenges a pu consulter 34% du personnel interrogé dit ne pas avoir confiance dans les décisions prises par leur direction et 50% se disent confiants, contre 16% et 68% respectivement en 2017. Soit une perte de 18 points de confiance en un an. Une chute tout aussi spectaculaire lorsqu'il s'agit d'évoquer les orientations stratégiques du groupe. Du côté des changements au cours des 12 mois précédents, 39% des salariés estiment qu'ils ont des impacts négatifs, 27% pensent au contraire qu'ils sont positifs, et 34% demeurent incertains. Une incertitude qui se ressent sur leur vision de l'avenir : 46% se disent ainsi pessimistes quant à leur propre avenir, contre 45% d'optimistes (11 points de moins qu'en 2017). Leur motivation est également en nette baisse, tout comme leur fierté de travailler pour la Société Générale : ils sont à peine plus de la moitié à recommander le Groupe SG comme employeur, une chute de 16 points en un an.

"C'est une situation paradoxale, analyse Philippe Fournil : les chiffres font état d'un désengagement des salariés, alors qu'avec tout ce qu'on leur fait subir, ils font preuve d'un grand professionnalisme dans les périodes difficiles". Un désengagement qui se ressent dans l'ambiance de travail et dans les propos des salariés. "On ne peut pas dire si l'ambiance est bonne ou mauvaise car il n'y en a pas !", ironise ainsi Victor*, un analyste de la BFI, principale concernée par le plan de départs. "En revanche dans mon ancienne équipe, que j'ai quittée il y a environ un an, c'est encore pire, c'est carrément la great loose ! continue-t-il. Une seule de mes anciens collègues est restée, et elle s'est mise en mobilité". Nadia* a, quant à elle, quitté Lyxor Asset Management, le gestionnaire d'actifs filiale de la Société Générale, récemment : "C'est un faible mot de dire que j'en avais marre", nous dit-elle. Dans son ancien service, elle a vu se succéder les nouvelles têtes et le travail était devenu de moins en moins intéressant depuis que certaines fonctions ont été délocalisées en Inde. "Le management intermédiaire est totalement déboussolé, il ne comprend pas la stratégie du groupe et reporte totalement son stress sur les équipes multipliant les risques psycho sociaux", raconte Amélie* qui aurait aimé faire partie du plan de départ.

"Nous avons passé les 48 dernières heures à soutenir les salariés, raconte Philippe Fournil. Ils ne sont pas complètement désespérés dans la mesure où il n'y aura pas de licenciements secs et où les conditions de départ sont satisfaisantes. Mais ils n'ont en revanche aucune visibilité sur la stratégie du groupe". Un manque de visibilité que rapporte également Béatrice*, salariée chez Société Générale Securities Services (SGSS), la branche des métiers titres de la banque rouge et noir : "Ici l'ambiance c'est wait and see. SGSS perd quelques emplois mais reste assez épargnée comparé à la BFI". Pour le moment. Elle, qui a vu sa situation professionnelle rester au point mort depuis des années, ajoute, complètement résignée : "Je ne suis qu'un petit pion… Ils vont me mettre à la porte mais ce sera une grossière erreur car je ne coûte rien et rapporte beaucoup". Un sacrifice au nom de la rentabilité mais qui concerne en priorité d'autres activités : "Le pôle IBFS [banque internationale et services financiers, NDLR] va subir de lourdes suppressions d'emplois alors que ses résultats sont salués depuis des années", ajoute Philippe Fournil.

« C’est vous l’avenir »... ou pas !

Ces restructurations permanentes ont aussi pour conséquence d'écorner encore un peu l'image de la Société Générale, qui devient moins attractive au profit de ses concurrents. "La Société Générale a beaucoup perdu en dynamisme et en inventivité, estime un consultant travaillant pour la banque. Il faut se souvenir du sens de l'initiative de l'établissement, dans les années 2000, lors de la création de Boursorama ou du lancement des premiers services de leasing auto. Aujourd'hui, cette innovation est plutôt à chercher du côté de BNP Paribas. D'ailleurs, en dehors de Frédéric Oudéa, le groupe n'est plus incarné. Il n'y a pas de personnalité visible capable de porter l'image de la banque."

Une image et une attractivité dont s'inquiète le responsable CGT : "Nous avons récemment tiré la sonnette d'alarme sur ce point-là, nous précise Philippe Fournil : ces derniers mois, on a enregistré plus de 800 démissionnaires !". Depuis quelques temps, la direction essaie pourtant tant bien que mal de se racheter un nom et de tirer un trait sur les heures sombres de sa récente histoire : "Les litiges sur le Libor [manipulation de taux d'intérêt, NDLR] et ceux liés aux autorités américaines étant désormais clôturés, la paralysie autour de la communication s'efface", affirmait ainsi en novembre 2018 Caroline Guillaumin, qui occupe la double fonction de directrice des ressources humaines et de directrice de la communication. En lançant le nouveau slogan de la Société Générale ("C'est vous l'avenir"), elle espérait redorer la "marque employeur" de la banque. Mais "en interne, ce nouveau slogan fait grincer des dents", assure Philippe Fournil. Un changement de communication qui arrive peut-être un peu tard, le mal étant dans la maison depuis déjà bien longtemps.

En externe, l'image de l'entreprise et surtout celle de son dirigeant Frédéric Oudéa ne s'est pas améliorée non plus. Le PDG de la Société Générale figure dans les 5 plus fortes baisses de l'étude annuelle Cac 40 de Vincent de la Vaissière qui fait autorité sur le marché. Les 180 journalistes interrogés devaient répondre cette année à trois questions : incarnation interne/externe, vision stratégique et capacité du dirigeant à délivrer et gestion des crises. Sur ces trois items, le patron de la banque n'a pas convaincu. Contactée par Challenges, la Société Générale n'était pas disposée à commenter le sujet.  

(*) : les prénoms ont été changés

 

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